Parce que mon fils aîné a décidé de s’orienter vers l’Ecole de Santé des Armées, une collègue m’a prêté le livre du Général Pierre de Villiers « Servir ». Dans quelques mois, il passera le concours et commence déjà à se préparer. Fier de l’engagement de mon fils, je me suis lancé dans la lecture de l’ouvrage, non loin des bunkers des plages landaises.
Bien que n’ayant pas fait mon service national profitant de la réforme sous l’ère « Chirac », les « souvenirs militaires » sont nombreux. A la lecture des passages où P de Villiers évoquent les familles militaires, j’ai alors revu le mess des officiers où mon grand-père, militaire de carrière, nous invitait parfois grand-mère, mes parents, mon frère et moi. Il y a eu aussi ma période d’étudiant à l’ENSTA au 32 boulevard Victor ; nous avions accès au mess des officiers sans oublier un passage temporaire au mess du rang pour toute la promo pour nous rappeler au respect des règles de vie.
A la fois un beau plaidoyer pour sa vision de la Défense après avoir quitté ses fonctions, c’est également une belle leçon de leadership. Et cela commence fort avec cette phrase :
La vraie loyauté consiste à dire la vérité à son chef. La vraie liberté est d’être capable de le faire, quels que soient les risques et les conséquences.
Cela exige une relation établie et de confiance avec son supérieur, la peur faisant dire à certains que « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Le « feedback » reste une pratique très descendante en France. Faire un retour à son chef nécessite aussi du courage. Ce courage semble plus facile quand les risques et les conséquences sont minimes (par exemple avec l’âge, quand les perspectives se réduisent à la retraite, c’est très certainement plus facile de l’ouvrir qu’au moment où on vous promet un avenir radieux). Plus loin, même si le contexte de ses propos est différent, le Général dira d’ailleurs :
Il y a dans l’impulsivité une forme d’orgueil déguisé que l’on regrette souvent.
(…)
Sortir de sa zone de confort, c’est s’exposer, mais c’est aussi se révéler; à soi même, pour commencer. « Je veux ce que je veux ! »
Si « l’entreprise libérée » est popularisée, il nous est difficile de croire que c’est un concept applicable à l’armée, de même que les formes de leadership appelées « Servant Leadership ». Pourtant, Pierre de Villiers explique son mode de management, celui qu’il souhaite au sein de la Défense française :
« Toute autorité est un service. »
(…)
L’important n’est pas l’exercice du pouvoir, mais celui de la responsabilité, tournée vers ses subordonnés pour le bien commun.
Comment ne pas penser à Opale (Reinventing Organization, F Laloux), quand il écrit :
Autonomie mais responsabilité. Chacun par son action est indispensable aux autres. Si l un faillit tout le monde en souffre.
L’auteur cite également un autre Général, Maréchal de France, Ferdinand Foch : « Les règlements sont des guides ânes qui favorisent la paresse d’esprit« . N’est-ce pas là une invitation à ré-interroger nos pratiques ?
Quand nos grands groupes industriels français développent des démarches de responsabilisation, l’armée la pratique déjà depuis longtemps. Donner une arme à une personne, lui faire confiance pour qu’il s’en serve uniquement pour le bien (ou arrêter le mal). N’est-ce pas une responsabilité énorme ?
Commander, c’est faire confiance.
(…)
Quand l’autorité est excessive, la confiance de ceux sur qui elle est exercée est trahie. Quand l’autorité fait défaut, l’indécision s’installe. De l’indécision naît l’ambiguïté. De l’ambiguïté naît la confusion. Ce sont là les deux plus sûrs chemins vers la défaite.
Ces deux citations mériteront un échange avec Ali Armand (voir Confiance & Leadership) et d’autres collègues avec qui la confiance représente un sujet de développement personnel. Elles s’appliquent aussi dans le monde de l’entreprise et la deuxième citation ressemble parfois à s’y méprendre à la réalité.
La Défense vit le même monde VUCA (Volatility Uncertainty Complexity Ambiguity) que les entreprises : attractivité des talents, mondialisation du terrorisme, digitalisation & évolution technologique importante, … La Défense doit faire face à tous les fronts et ses résultats sont bien souvent invisibles, comme d’autres services publics. Sous prétexte de la rapidité des évolutions, nous ne construisons plus des feuilles de route sur le temps long pourtant on recherche tous à faire du développement durable.
Tout nous tire vers la tactique et l’action immédiate, au détriment d’une vision stratégique et d un effet à obtenir dans la durée.
Pourtant, la raison d’être de la Défense est forte et déclinée à chaque militaire :
Protéger les français est l’honneur du soldat. Servir est son ADN, qui privilégie les devoirs plutôt que les droits, le sens de la mission plutôt que l’intérêt personnel, la responsabilité plutôt que le pouvoir, la disponibilité plutôt que le calcul du temps de travail.
Retirer de la précédente citation la première phrase pour la remplacer par la mission d’un service public. Espérons que les dirigeants de ces services publics partagent alors le sens de la phrase « Servir est son ADN » et par leur exemplarité, ils transformeront positivement leurs entreprises.
Le décalage finalement le plus fort avec le monde de l’entreprise tient probablement à la citation suivante :
Quand certains expliquent que tout est interchangeable, l’institution militaire dit au contraire que chacun est unique.
Peut-être que l’économie sociale et solidaire fera mentir ce décalage ou le réduira. Et si finalement, nous devions retenir qu’une leçon de management du Général Pierre de Villiers, pour moi, ce serait celle-ci :
On oublie trop souvent de faire filer autorité avec humanité. Et dans notre époque trop stressée, on croit parfois perdre son temps à se dire bonjour, se serrer la main, s’écouter, échanger. Alors que c est ainsi qu’on gagne de la reconnaissance, de l’estime, de l’efficacité. Et donc du temps.
Je vous souhaite une excellente lecture avec vos prismes à vous et j’espère relire ces quelques lignes avec mon fils aîné quand il avancera dans sa carrière militaire.