Éloge de la gentillesse en entreprise d’Emmanuel Jaffelin


En 2014 à la Cité de la Réussite, je découvre sur scène Emmanuel Jaffelin dont la prestation quasi humouristique avait retenu mon attention. Or, ma responsable RH (que je salue et remercie au passage) l’invite cette année à nos événements internes mensuels « les jeudis entre nous » pour nous parler de son Eloge de la gentillesse en entreprise. Malheureusement pour moi, ça tombe sur un jeudi où je ne peux me libérer et profiter de cette soirée en compagnie de mes collègues et de l’auteur… Qu’à cela ne tienne, je vais tenir ma promesse de 2014 (enfin presque, puisque c’était son précédent bouquin) et télécharger son livre.

Après quelques pages, je ne suis pas tout à fait à l’aise… c’est curieux. L’auteur n’est pas très gentil avec l’entreprise et je commence à m’interroger sur son expérience du monde professionnel. D’ailleurs, il devine l’entreprise :

« Nous devinons alors que l’entreprise doit – sauf à se faire inhumaine – concourir à ce double but : elle a certes vocation à produire de la richesse, mais elle ne peut le faire contre l’essence même de l’humanité. »

Evidemment, certains fondamentaux sont rappelés sur le travail, le sens qu’il doit porter et l’idéal qu’il doit être :

« Si les êtres humains passent l’essentiel de leur temps, après l’enfance et avant la retraite, à travailler, il ne faut pas que ce moment représente une mauvaise parenthèse dans une vie, mais qu’il soit l’un des facteurs du vivre-ensemble. »

Evidemment, l’idée ci-dessus est séduisante mais que penser de l’éboueur qui participe certes à rendre nos vies agréables mais pour lui, peut-il dire que ce travail n’est pas une mauvaise parenthèse de sa journée, de sa vie ?

La première partie ne laisse donc pas apparaître la gentillesse et dessine une entreprise difficile à vivre :

« Difficile de prôner la sérénité au sein de l’entreprise quand on pense la guerre en dehors. »

En lisant cette phrase, je ne peux m’empêcher de penser à Blue Ocean Strategyou comment finalement éviter la guerre dont parle Jaffelin pour faire grandir son entreprise plus sereinement. Evidemment, cela exige aussi des efforts et la vigilance à l’égard de la concurrence guerrière (au sens de M Porter et de ses 5 forces).

« Si lien entre gentillesse et entreprise il y a, ce n’est donc pas dans un secteur qu’il faut le chercher, mais dans les relations professionnelles trop souvent considérées comme secondaires. »

La suite fait penser à un discours syndicale sur le profit contre les hommes :

« Le flux est le nouveau contremaître du salarié qui lui ordonne d’être toujours en mouvement, qui lui interdit la pause d’une manière plus redoutable encore que ne le faisait la chaîne de montage. »

D’ailleurs, le manager (ou manageur) s’en prend plein la figure. Rien sur les parties prenantes, en dehors de la concurrence à peine évoquée au travers de la guerre commerciale, pourtant le client est l’électeur principal des entreprises.

« Le manageur, les yeux rivés sur les indicateurs de performance, perd trop souvent de vue, non seulement le travail réellement effectué par le salarié, mais aussi et surtout la subjectivité de celui-ci, c’est-à-dire l’empreinte humaine qu’il apporte à l’entreprise et qui est faite de sa sensibilité, de son intelligence et de son histoire. »

Même quand on croit qu’il va finalement l’épargner, le manageur passe finalement pour un total incompétent qui ne capte pas l’essentiel :

« De fait, il serait trop lâche et trop facile de faire du manageur le bouc émissaire du mal-être dans l’entreprise et le responsable d’une logique qui, au fond, lui échappe pour l’essentiel. »

L’entreprise visée par E Jaffelin n’est pas la start up ou le petit commerçant. Il cible la grande entreprise… Pour avoir goûté à toutes les tailles d’entreprise, j’ai l’impression que l’auteur caricature la réalité et s’arrête sur les gros titres de Challenge, non ?

« le fait que ce dépeçage se fasse sous couvert de la loi en dit plus sur la capacité législative à entériner les faits là où il faudrait les enterrer que sur la différence morale du criminel et du « golden parachuté ». Il conviendrait d’ailleurs de s’interroger sur la valeur d’une loi qui protège les frelons : n’encourage-t-elle pas l’asociabilité, la déresponsabilisation sociale, le règne du tout-à-l’égo et, finalement, le mépris quotidien du salarié ? »

La confiance apparaît enfin dans les propos de l’auteur mais ce n’est qu’une ébauche comparée à ce qu’énonçait S.M.R Covey dans Speed of Trust :

« si le salarié n’est pas un cheval ni le manageur un cavalier, il n’est pas absurde de penser que « manager » consiste à instaurer une relation de confiance au sein d’une équipe pour en faire un attelage harmonieux. »

L’auteur s’en prend alors aux enseignements américanisés (type MBA) et à l’invasion des anglicismes dans notre quotidien.

« Jaurès disait que « quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots ». »

Je crois effectivement que la gentillesse est une force mais fallait-il un si long texte pour le lire ?

« Le fait que le sens de la gentillesse ait beaucoup varié ne nous empêche pas de reconnaître dans celui qui se montre bienveillant envers nous une noblesse morale et dans son geste, une authentique force morale. »

J’ai surligné bien plus de passages mais même en relisant ces citations, je suis finalement assez déçu de n’avoir pas trouvé chez Jaffelin un texte plus positif, plus constructif, moins culpabilisant tant pour les entreprises que pour les managers. Ca accentue ma déception de n’avoir pu entendre ses propos et débattre avec l’auteur…

Soyez gentils !