Cancùn : carte, territoire et Valerian

La deuxième semaine de janvier 2011, nous sommes partis nous reposer à Cancùn, ville de fêtes et du dernier sommet sur le climat. A l’aéroport, perdu dans le rayon bouquin du relay de notre terminal à Roissy, je me suis laissé tenter par « La carte et le territoire » de Michel Houellebecq pour occuper les séquences de bronzage face à la mer entre 2 visites culturelles ou festives.

2011 sera la première étape de notre projet de vie, nous avions donc choisi d’être modeste et de ne pas trop rallonger notre avoir suite aux vacances avortées pour cause de volcan en 2010. Notre hôtel 2 étoiles se situait après la série d’hôtels 5 étoiles sur le chemin depuis l’aéroport. La première nuit fut rude… il ne restait qu’une chambre avec 2 petits lits, une clim rouillée et bruyante et des murs aussi épais que du papier à cigarette… Gloups !!! Le lendemain, on nous libéra dans un autre bâtiment de l’hôtel, une chambre avec un vrai lit et plus agréable.  Ouf ! Les jardins derrière les bâtiments conduisaient à une plage de sable blanc et fin et à une eau turquoise. Allongé sous le soleil, environ 30°, j’ai commencé ma lecture. Je n’avais jamais lu de Michel Houellebecq alors pourquoi pas celui qui a eu le prix Goncourt. Je n’ai quasiment pas corné de pages : une pour me faire penser à acheter le livre de Bill Gates sur la Route du futur, une parlant de « l’honneur de la fonction » (parce que parfois je me sens entouré de gens pas assez honorés par leur fonction et d’autres beaucoup trop…), une autre page parlant du besoin d’avoir des centres d’intérêt et une dernière laissant croire que l’auteur donne des cours de creative writing. Bref, des pages cornées pour me souvenir de faire quelques recherches Internet à mon retour. Bouquiner en plein air m’a rappelé les bons souvenirs d’étés quand je lisais les grands auteurs pour ma classe prépa. L’auteur m’a tenu en haleine les deux premières parties mélangeant vie contemporaine et événements futurs. La fin m’a beaucoup moins plu… De mémoire, Houellebecq reconnaît lui-même qu’il n’a jamais su finir une histoire (Peut-être faudrait-il que je vérifie avec ses autres œuvres).

Autour de notre hôtel, comme aux abords de Cancùn, la ville garde les traces d’une crise économique et financière violente… Hôtels abandonnés, constructions stoppées, boutiques liquidées… Ca surprend pour une destination réputée pour le farniente et ses hôtels de luxe. Malgré tout, les prix restent élevés et les survivants se battent pour faire tourner leurs commerces. Si à Las Vegas, je n’avais pas réussi à sortir madame en boîte, en mémoire de The Mask (oui bon, d’accord…), nous avons passé une soirée au Coco Bongo !!! Goldmembers en plus… En fait heureusement, la fosse étaient pleine de jeunes (et moins jeunes) dansant sur les bars, se plotant, s’embrassant, se mélangeant… La crise n’a pas arrêté la fête.

Nous n’avons pas fait plus de 8300 km juste pour glander sur une plage et danser dans une boîte aussi mythique soit elle. Hélène voulait me montrer les temples qu’elle avait visités il y a plus de 10 ans. Sous la chaleur écrasante, le site de Chichen Itza est impressionnant : ses places, ses temples, son observatoire, … La pluie chaude nous a accompagnés pour le site de Cobà. Aux alentours, nous avons pris un bain dans un Cénotes suivi d’une purification par un chaman (bon, ok, il avait une blouse aux couleurs de la compagnie qui organise ce petit tour). Au sommet du temple, la vue est impressionnante sur la jungle et laisse à réfléchir sur la vie passée sur ces lieux et ce qu’il en restera dans le futur… Notre guide, Liliana, nous a fait visiter une petite boulangerie typique avant de raccompagner deux enfants de 5 et 7 ans à leur « cabane ». Le petit Valerian m’a bouleversé, assis à côté de moi dans le mini-bus, sa main s’est posé sur mon genou pendant tout le trajet. Je l’ai regardé pendant ce court voyage ; ses petits doigts m’ont rappelé ceux de mes enfants, son visage un peu sale a souri en voyant Liliana donner ses gâteaux.  Arrêté au bord de la route, un garçon est venu les accueillir, sans doute le grand frère, plus qu’heureux de les voir arriver avec leur trésor…  

En traversant les villes parfois faîtes de bois, parfois faîtes de béton, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que c’est quand même culoté de faire un sommet sur le climat à Cancùn où les hôtels envahissent les terres, dénaturant parfois des sites historiques. Il faut dire que je n’ai pas vu les infrastructures traitant les eaux usés de ces empires voyant défilés les touristes de tous les coins de la planète… Par contre, j’ai vu une éolienne. Un test ? Même si le contraste est moins fort qu’en Inde, la richesse s’installe à côté de la pauvreté…

J’ai passé d’excellentes vacances, j’ai vu des sites et des paysages magnifiques, je me suis senti impuissant face à certaines situations. Le sourire de Valerian me laisse croire qu’il grandira dans son environnement, différent de celui de mes enfants, mais très certainement en attachant une grande importance à la vie.

Le temps de faire une pause

Sur les 3 livres que j’ai ouverts de front, il y en a un qui a pris de vitesse les autres : « Trop Vite ! » de Jean-Louis Servan-Schreiber. Quelle ironie ! Pourtant l’auteur aurait sans doute préféré que je le lise plus lentement avec autant d’attention que l’intérêt qu’il a pu susciter et que je me mette au calme plutôt que dans le feu du RER connectant quotidiennement mon domicile à mon bureau. Pour relire au calme certains passages, j’ai donc corné, corné et corné quasiment une page sur trois !

Si le temps est le fil conducteur du livre, l’auteur explore les trois piliers du développement durable :

  • Sociétal : tant au travers des tendances politiques qu’au travers des relations aux autres,
  • Economique : l’impact sur la vie des entreprises, le système financier et la consommation,
  • Environnemental : parce que le temps nous est compté…

L’introduction pose le ton, avec du positif : « Nous avons tout pour mieux savoir, comprendre et prévoir. » suivi du négatif (souvent sous forme de question) : « Par quelle étrange malédiction sommes-nous pourtant, collectivement et individuellement, devenus myopes ? » JLSS explique ce mal par « la pandémie du court-termisme ».

Il explique la contagion par le progrès technologique et l’accélération provoquée par Internet notamment. C’est vrai qu’Internet permet un zapping permanent d’un sujet à un autre, de lire des informations toujours plus courtes, de se limiter à l’essentiel ou parfois au superficiel malheureusement… Et cela se propage dans le monde politique comme dans nos entreprises aux plus hauts niveaux. Plusieurs fois, j’ai été témoin de prises de décisions, certes avec élégance mais parfois aussi avec esbroufe, sans recul  et sans prise en compte du long terme (« Après moi, le déluge ! »). Certains ont même reporté leurs réflexions en me disant : « un tel décret mérite un schéma. Sujet suivant ! » Mouais… le monsieur avait raison, j’aurais pu prendre le temps de faire un schéma mais le fameux décret tient sur un A4. Cet exemple illustre pour moi une crainte de JLSS sur la « démusculation » de nos neurones : les « transformations profondes de nos modes d’action et rythmes de travail sont en train de modifier nos comportements, au risque d’atrophier certaines de nos facultés. » L’auteur nous invite a lire l’article de Nicholas Carr : « Is Google making us stupid ? »  Faut-il donc avoir peur des progrès ? JLSS modère la réponse en rappelant que Socrate « s’inquiétait du développement de l’écriture, craignant que les gens ne finissent par confondre les mots écrits avec la vraie connaissance. » Au-delà d’Internet, ce sont tous les nouveaux services qui contribuent au court-termisme : « Vivons dans l’instant, nous en avons les instruments ! ». L’auteur illustre ce point et le fait que « la valeur d’usage commence à supplanter celle de possession » par le Velib, l’autolib, … Reste à voir si le partage dure dans le long terme, si les produits partagés sont maintenus en l’état continuant à rendre les services séduisants.

Le journaliste cite également Robert Rochefort rappelant qu’autrefois « nous avions une conception patrimoniale des objets et de l’acte d’achat. » Ca m’a rappelé les propos d’Yves Carcelle lors des rencontres économiques de Saint-Germain-en-Laye. Le patron de Louis Vuitton expliquait que le luxe avait traversé la crise car les produits sont de « réels investissements » qui apportent aux clients un « supplément d’émotion ». Un sac Louis Vuitton s’achète sans doute avec la même conception qu’autrefois. Quels objets laisserai-je à mes enfants ? Je ne sais pas… cela dit, mon fils aîné allume de temps en temps le synthétiseur que j’ai eu il y a maintenant plus de 20 ans.

La lecture de certains passages a retenu aussi mon attention par rapport à mes garçons. JLSS conte une expérience où on laisse un enfant seul dans une pièce avec un bonbon en lui promettant de lui en donner un 2ème dix minutes plus tard, si l’enfant n’a pas à ce moment mangé le bonbon. Visiblement « la grande majorité des petits mangeait le bonbon tout de suite. » Quand je les observe, je me dis qu’individuellement chacun pourrait craquer tandis qu’en groupe ils pourraient peut-être tenir le coup… Faudra que j’essaie ! Mais comment savoir si céder à certains de leurs caprices nuira plus tard à leur avenir ? J’ai parfois l’impression d’user du prétexte qu’ils sont petits (ou de mes absences) pour répondre à ces pleurs, ces crises, … De la même façon, JLSS écrit : « La science donne de l’espoir, mais elle sert aussi de prétexte à ceux qui préfèrent retarder les mesures contraignantes. »

Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre à celles et ceux qui s’interrogent sur leurs propres vies tant personnelles que professionnelles.