Dans le Jardin des femmes

Fatigué après la lecture trop sérieuse de quelques pages de « Performances et progrès social », j’ai mis en stand by ce pavé pour m’abandonner aux lettres d’Alexandre Jardin : « Chaque femme est un roman ».  Hésitant entre fiction et réalité, Alexandre Jardin ne nous livre pas un roman mais plusieurs nouvelles d’anciennes et actuelles femmes de sa vie. C’est toujours intriguant de ne pas savoir où se trouve la vraie frontière entre le roman et l’autobiographie et ça fonctionne (en tout cas avec moi J). C’est un peu du reality show d’écrivain. Ma mauvaise habitude de corner les pages qui retiennent mon attention ou suscitent des idées a donc froissé de nombreux passages. M’identifiant tantôt à Alexandre, tantôt à sa mère ou à d’autres acteurs de son récit, ces nouvelles m’interrogent sur l’éducation que j’ai eue, celle que j’offre à mes enfants ou encore ce que la vie pro m’apprend chaque jour sur les autres et sur moi. Finalement, je retire autant d’Alexandre Jardin que de Jacques Attali. L’auteur joue sur : être, paraître, rêver, se rêver, oser.

 

Quand j’étais petit (« j’étais un Jedi », Dionysos) :

Plusieurs passages m’ont rappelé mon enfance, parfois sans me souvenir l’origine des situations alors que les jeux/tests sont si clairs dans mon esprit. A l’école ou à la télé, avec mon ami Pierre, nous avions appris ce que Mme Eléphant raconte à Alexandre : « Savez-vous monsieur l’écrivain comment on éteint les incendies pétroliers les plus virulents ? En faisant éclater une bombe. L’effet de souffle est la seule solution ! » C’est un peu guérir le mal par le mal. Derrière chez moi, avec Pierre, nous allumions de petits feux pour y jeter des pétards et vérifier cette nouvelle connaissance.

Les souvenirs de collège et  lycée sont remontés à plusieurs occasions. Alexandre Jardin apprend de Babette que « le diagnostic de d’orientation ne définit pas le potentiel des élèves, il le crée. » J’avais accompagné 2 amies voir une conseillère d’orientation. Au fond de son bureau, je regardais les livres en écoutant distraitement ses conseils à mes copines. Avant de partir, elle m’interpela : « et vous ? ». Je lui répondais : « Moi ? Je ne cherche pas de conseil. Après le lycée, je viserai une école d’ingénieur à Metz. » L’avais-je vexée ? Selon elle, mon lycée ne préparait pas à ces futurs, j’étais un doux rêveur… J’ai parfois eu envie de lui faxer une copie de mes diplômes considérés par la société plus prestigieux que les écoles messines. Elle n’avait pas évalué mon potentiel mais celui prétendu de mon lycée. Que se serait-il donc passé si je l’avais cru ?

Parmi les exemples lugubres d’apprentissage de la vie par l’expérience de la mort, Alexandre Jardin raconte comment il découvre les plaisirs d’ôter le souffle à plus faibles, à des animaux. « Heidi m’apprit à étrangler les oiseaux en écoutant du Vivaldi ». La musique contraste l’acte ou le rend parfois plus cruel. En bons animateurs de l’association vidéo de notre école, Olivier et moi réalisions de nombreux clips plus ou moins sophistiqués. Il avait décidé de faire un remake de la cuisine de Maïté avec un pigeon blanc vivant. Lors du tournage, Olivier avait finalement voulu achever la bestiole. Un câble de ventilateur autour du cou de l’oiseau, je filmais Olivier qui l’étranglait. L’image tremblante trahit mon dégoût et celui d’Olivier. A la fin, Olivier me demandait : « T’as filmé tout ça ? » et je lui répondais : « Oui, enfin je crois ! ». En fait, je ne regardais pas en filmant J Son remake fut un succès et provoqua beaucoup d’émotion dans notre public qui n’avait pas vu les rushs. 3 mois, plus tard, je montais les rushs à la suite des images de l’arbre de Noël sur lesquelles un magicien faisait apparaître des colombes. Musique : « Just a Perfect Day » de Lou Reed. Un nouveau succès mélangeant haine de certains et franches rigolades d’autres !

Coïncidence ou pas, Jardin a le même prénom que le héro de « Orange mécanique » (Alex pour être précis). Jeanne lui inflige une séance privée de cinéma ultra-violent sur « la ronflante symphonie n°40, K550, 1er mouvement, de Mozart ». Alex d’Orange mécanique subit une cure sur la 9ème symphonie de Beethoven. Si Alex finit par se dire « enfin guéri », l’adaptation de Stanley Kubrick finit sur une scène entre viol et orgie. Jardin, lui, finalement intéressé « avec passion à ce kaléidoscope d’atrocités » s’interroge : « Le mal serait-il enivrant ? ».

Maintenant que je suis moyen

Parmi les multiples pensées qui ont traversé mon esprit à la lecture des femmes d’Alexandre Jardin, il y en a une qui ne quitte pas ma petite tête : ce n’est pas mon excellent prof de stratégie qui pourrait changer les habitudes de mon environnement professionnel. Certes, il a de magnifiques retours expériences de grandes entreprises ou de groupes prestigieux mais le discours resterait probablement inaudible. Alors qu’Alexandre Jardin… ne  dit-il pas la même chose ? N’invite-t-il pas à aller à contre courant ? Mieux : « saute toujours dans le vide, jamais dans le plein. » ou encore « Sortez du carré les enfants ! » (en terme MBA : « think out of the box ! »). Il a les clés du « carburant de la pensée ». Prendre un écrivain comme un consultant nous permettrait-il de prendre conscience que nous sommes comme l’hôpital psychiatrique où il a testé les docteurs ? « L’hôpital produisait sa réalité en fonctionnant dans le carré de ses méthodes et de ses croyances. » Moi-même, je ressens une certaine schizophrénie J Saurions-nous alors « désorganiser le désordre » ?

L’auteur raconte également ce qu’il a appris de sa mère. Cela m’interroge sur ce que mes enfants retiendront de l’éducation que je leur porte modestement. Souvent, je rabâche à mes trois fils : « Quoiqu’il arrive, vous êtes une équipe ! On se serre les coudes ! On fait attention l’un à l’autre ! Vous êtes une équipe ! » Forcément, quand la coach de basket dit la même chose à la fin d’un match pour expliquer que les défaites et les succès sont ceux de l’équipe et pas d’un seul de ses membres, mon fils me regarde intrigué tout en pensant avec son sourire : « C’est comme à la maison ! » Alexandre Jardin remercie sa mère de l’ « avoir fait si vulnérable ». Pas facile… équipe ou égoïsme ? Se protéger ou s’entraider ? L’empathie m’a parfois coûté cher. AJ pousse le vice jusqu’à espionner les autres et faire l’expérience de leurs pensées / jugements et a appris « l’humilité et l’utilité du mensonge social. »

Ce livre pousse à oser ! J’ose alimenter ce blog. Est-ce des platitudes ? Est-ce ridicule ? Qu’importe ? J’ose car je me souviens que mes meilleurs souvenirs sont le résultat de mes audaces.

Comme Alexandre Jardin, « je dois sans doute aux femmes [et personnes morales] les plus mauvaises de ma vie le meilleur de ma physionomie morale. » J’espère offrir le meilleur à mes enfants et à mon amoureuse, ma « Liberté » à moi.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Connect with Facebook